Mais celui qui ne se contente pas de cette image traditionnelle et lit un peu plus « entre les lignes » de l'histoire de Thomas, peut repérer une réalité différente soutenue par exemple par quelques spécialistes du Nouveau Testament, qui observent que les autres apôtres aussi, s'ils avaient été absents lors de l'apparition de Christ ressuscité, auraient probablement réagi, au début, avec la même incrédulité... qu'ils avaient également manifestée en effet devant la nouvelle de la Résurrection annoncée par les femmes (Lc 24,11).
De plus, Thomas n'a pas été seulement celui qui s'est ensuite adressé à Jésus avec la plus haute des expressions de foi contenues dans les Évangiles « Mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jn 20,28)... mais précédemment c'est lui aussi qui s'était distingué par sa détermination à suivre Jésus « Allons-y, nous aussi, afin de mourir avec lui » (Jn 11,16), au point que son absence dans le cénacle au moment de l'apparition se prête à être également « lue » comme la preuve que Thomas continuait courageusement à témoigner du Christ, à la différence des autres apôtres, qui avaient « peur des chefs juifs » (Jn 20,19) et donc restaient en sécurité enfermés dans la maison.
Le fait que ce soit à lui que cette tâche incombe, c'est-à-dire à l’apôtre qui plus que les autres a reconnu explicitement la divinité de Jésus au point de L'appeler « Mon Dieu ! », (Jn 20,28) me fait penser aujourd'hui aux difficultés qu'il aura sans doute rencontrées pour évangéliser des terres aussi lointaines, culturellement plus encore que géographiquement.
En laissant un peu libre cours à mon imagination, il me semble presque voir les habitants de l'Inde écouter les paroles de Thomas au sujet de l'homme-Dieu Jésus, les interprétant au début selon leurs propres critères religieux... c'est-à-dire en pensant que l’apôtre était en train de leur parler d'un Avatar, autrement dit d'une « incarnation divine » née en Occident.
Et puis, j'imagine l’insistance de Thomas pour mieux expliquer la spécificité de sa foi en Jésus, et pour Le présenter comme le Fils de Dieu, d'une manière qui, évidemment, se différencie de la religiosité indienne... avec le résultat, attesté par l'histoire, que certains accueillirent la foi chrétienne, tandis que beaucoup d'autres la refusèrent.
Entre ces deux positions, il y aura même eu ceux qui, avec bienveillance, auront appliqué envers Thomas le principe significatif contenu dans un passage de la Bhagavad-Gîtâ, dans lequel le Dieu suprême affirme « Ceux mêmes qui sacrifient à d'autres divinités avec dévotion et foi, sacrifient aussi à Moi, ô fils de Kuntî, bien que ce ne soit pas selon la vraie loi. ». (IX,23) …
En réalité... je pense que, même dans la situation inverse, Thomas aurait raisonné plus ou moins de la même manière, dans le sens que... en se proposant d'annoncer l'Évangile à des personnes tellement éloignées du point de vue de la mentalité religieuse, lui aussi aurait apporté la nouvelle de Dieu-Père et de Son Fils Jésus en étant conscient que le salut universel « en Christ » va au-delà des « frontières » d'une conversion doctrinale.
Et en effet, c'est là justement l'un des principes fondamentaux du message évangélique, que l'on trouve par exemple dans un verset très « sous-estimé », ou même carrément ignoré, de l'Évangile de Jean.
Je me réfère aux paroles « afin que quiconque croit, en Lui [Christ] ait la vie éternelle » (Jn 3,15) qui expriment le principe selon lequel celui qui « croit », même s'il appartient à une religion différente... mais qu'il pratique de toute façon la rectitude et l'amour... il se sauve en Christ, comme par exemple l'a aussi bien mis en évidence Mgr Bettazzi, évêque émérite d'Ivrea (Turin), qui a écrit un livre intitulé « Qui croit, en Christ sera sauvé » et ce livre... comme par hasard... correspond à la manière de penser des chrétiens-ramiriques.
Au contraire, beaucoup d'autres chrétiens aujourd'hui dénaturent ce verset, en déplaçant la virgule et en lisant « afin que quiconque croit en Lui [Christ], ait la vie éternelle » (Jn 3,15)... c'est-à-dire en liant le salut à une foi doctrinale en Christ, et en cultivant de cette manière la fermeture anti-évangélique dont je vous ai déjà parlé il y a longtemps dans le post « une question de virgules ».
Contrairement à eux... ceux qui envisagent aussi une possibilité de salut pour les fois différentes de leur propre foi, peuvent alors vivre avec plénitude le commandement de l'Amour enseigné par Jésus, en pratiquant également la charité chrétienne dans la forme d'un dialogue ouvert, et sans préjugés, avec les « mondes » religieux et culturels les plus lointains.
Cela ne signifie pas, évidemment, qu'il y ait à considérer toutes les voies religieuses comme d'égale valeur... mais plutôt à professer sa propre foi chrétienne comme la voie la plus directe vers l'Unique Dieu, Père et Mère de tous, sans toutefois méconnaître que d'autres parcours religieux aussi peuvent conduire vers l'unique But éternel, à condition qu'ils soient pratiqués avec rectitude et amour du prochain.
Voilà... je suis convaincu que justement telle était la foi qui animait l’apôtre Thomas, dont le nom dérivait de l'araméen Taumà, c'est-à-dire « jumeau »... et dont l'appellatif en grec, « Didimo » (Jn 11,16) avait une signification identique.
Ce n'est pas par hasard qu'il a en effet construit son pont chrétien vers l'Inde en utilisant les « briques » d'un amour fraternel, « jumeau » de celui pratiqué par Christ, mais aussi... c'est moi qui l'ajoute... par une âme qui ne pouvait qu'être « universelle ».
Étape suivante : Notre Père... et Brahman
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