mercredi 26 septembre 2018

Persécutions d’hier... et d’aujourd’hui

Aujourd'hui, je vais vous parler d'une page de l'Évangile de Luc qui, au sein de la tradition chrétienne, malheureusement a été parfois mal interprétée.
Je me réfère à la « Parabole des invités » (Lc 14,15-24) dans laquelle... après que les invités officiels (qui représentent les chefs du Judaïsme à l'époque de Jésus) déclinent l'invitation... le « maître de maison » charge son serviteur d'inviter à leur place « les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux » (c'est-à-dire les couches méprisées et discriminées de la société juive).
Métaphoriquement, la scène représente l'annonce de l'appel au « règne de Dieu » dans lequel tous peuvent entrer et qui... comme l'histoire l'a démontré... a vu cet appel de Jésus accueilli non tant par les représentants officiels de l'institution religieuse juive, que par, au contraire, les catégories qui, à cette époque-là, étaient socialement marginalisées et même... plus tard... par les « païens » aussi, c'est-à-dire par les non juifs auprès desquels la « Bonne nouvelle » des Évangiles trouva enfin un terrain fertile.

Or... ce que les reconstitutions « institutionnelles » de l'histoire religieuse chrétienne ont habituellement tendance à survoler, c'est une circonstance liée justement aux paroles qui se rapportent aux « derniers » invités : « contrains-les d'entrer afin que ma maison soit remplie” (Lc 14,23).
Pour mettre en lumière cette question, j'emprunte les mots du théologien et prêtre catholique H. Kung, qui écrit qu'Augustin d'Hippone... « devant se confronter à des groupes toujours nouveaux d'hérétiques et impressionné par l'utilisation de méthodes répressives dures, pensa pouvoir donner une justification théologique à la violence contre les hérétiques et les schismatiques en ayant recours aux paroles de Jésus dans la parabole des invités, où la version latine intensifie la signification de l'original grec en traduisant coge intrare : « contrains-les (au lieu de « pousse-les », « invite-les ») à entrer » (Luc 14,23). Augustin donc, (…)  devient fatalement, au cours des siècles, le témoin principal de la justification théologique - [Kung parle évidemment ici de la théologie de l'Église catholique] - des conversions forcées, de l’Inquisition et de la guerre sainte contre les dissidents de toutes sortes; chose qui n'a pas de correspondance en ces termes dans l'Église d’Orient. (…) Ainsi, contrairement aux traditions de l'Église antique, on est arrivé à des guerres de conversion, des guerres contre les païens, des guerres contre les hérétiques, et même aux croisades » (H. Kung, « Peut-on encore sauver l'Église ? » Paris, Seuil, 2012).

Kung se réfère ici à un écrit augustinien visant à la « correction des donatistes » (cf. Lettre 185, 6.24) dans laquelle on lit aussi: « il y a une persécution injuste infligée par les impies à l’Église du Christ et il y a une persécution juste infligée aux empies par les  Églises du Christ (...)  l’Église donc persécute poussée par l'amour » (cf. Lettre 185, 6.24).

A cet égard... une considération communément exprimée par ceux qui ont intérêt à résoudre rapidement la question... consiste à constater qu'il s'agit évidemment d'une page d'histoire religieuse désormais reléguée au passé.

En réalité... il suffit de regarder autour de soi pour voir comment, malheureusement, encore aujourd'hui, il existe diverses formes de « persécution » appuyées sur quelques « justification théologique »... et appliquées par exemple contre ceux qui ne se conforment pas à la morale religieuse socialement « dominante » par rapport, par exemple, aux thèmes de la sexualité, ou de la famille « traditionnelle »... ou aussi envers ceux qui « se permettent » de professer une foi chrétienne non alignée sur le « Christianisme officiel » pratiqué par celle qui, dans les faits, est considérée comme la « religion d'État »... etc. etc.  

Les présumés représentants de Christ qui « raisonnent » ainsi... ne se rendent pas compte qu'ils sont en réalité passés du côté des « invités officiels » dont parle la parabole de Luc, c'est-à-dire du côté de ceux qui ont déserté le banquet d'amour convoqué par le Christ même.

À ce banquet sont par contre invités (mais certainement pas obligés d'entrer) justement les derniers... les marginalisés, les discriminés... auxquels aujourd'hui encore l'Immanu-El... le  « Dieu au milieu de nous » s'adresse... pour « remplir sa maison » (Lc 14,23).