lundi 18 janvier 2016

Œil au présent

Ce matin, en observant l'image de ce célèbre tableau du Bienheureux Fra Angelico, qui représente l'ange Gabriel lors de « l'Annonciation » à Marie, je me suis souvenu d'une parabole du judaïsme hassidique qui voit comme protagoniste le même ange, et qui raconte ceci :
« L'ange Gabriel fut envoyé par Dieu pour faire don de la vie éternelle à ceux qui auraient un peu de temps pour le recevoir. 
Et l'ange s'en est allé sur les routes du monde. 
Mais, après avoir parcouru de nombreuses routes, il revint et dit à Dieu : 
 "Ils avaient tous qui un pied dans le passé, qui un pied dans l'avenir. Je n'ai trouvé personne qui eût du temps” ».
Comprise dans sa signification plus traditionnelle, cette parabole nous parle du « danger » qui plane sur toute existence humaine : se laisser « écraser » entre le passé qui est déjà révolu, et l'avenir qui doit encore advenir... en étouffant ce présent qui alors « n'a plus de temps » pour accueillir le don de la vie éternelle.

Au-delà de cette signification... je lis aujourd'hui cette parabole judaïque de mon point d'observation personnel... et je pense au fait que sur le plan de la manifestation temporelle, le présent est pour chacun de nous un temps encore plus « évanescent » que le passé, qui au moins existe dans notre mémoire... et que le futur, qui au moins existe dans notre imagination... puisqu'il est impossible pour nous de « fixer » l'instant précis du présent... qui ne soit déjà allé dans le passé... ou qui ne soit encore « provenu » de l'avenir.
Cet aspect de la Réalité était par exemple représenté dans l'ancien panthéon romain par Ianus, la divinité bifrons... aux deux visages visibles tournés vers le passé et vers le futur... et dont la vraie « identité » se trouvait dans l'« insaisissable » présent constitué par son invisible « troisième visage », qui en faisait la « porte » temporelle... en latin ianua... à laquelle on doit entre autres le nom de janvier (en lat. ianuarius), qui est en effet la « porte » entre l'ancienne et la nouvelle année.
Cette vieille idée du présent vu comme porte invisible... non seulement me rappelle « en passant » le symbolisme hindouiste de l'invisible « troisième œil » de Shiva, qui entre autres détruit toute manifestation illusoire du devenir en transformant la succession temporelle en « simultanéité » du présent éternel... mais elle me pousse aujourd'hui à faire un autre « saut », théologique celui-là, jusqu'à mon présent religieux, d'où surgit dans mes pensées un passage tiré d'un enseignement de Swami:

« L’inconscient est le siège de la Connaissance, et il est la porte
par laquelle vous pourrez découvrir la Vérité, 
afin que tout se
revête de Conscience.
L’inconscient est symboliquement 
le « troisième œil »
que la tradition religieuse orientale identifie avec le chakra situé un peu au-dessus des sourcils, au centre du front. ».
       (Swami Roberto,  « Ascoltando il Maestro », Vol.1, pag.62)

Même le « passage » dont parle Swami... constitué par la Vérité de la Connaissance qui émerge de notre inconscient « afin que tout se revête de Conscience »... se réalise par une « porte » invisible, celle de notre « troisième œil » spirituel, grâce auquel notre présent, au lieu de rester infructueusement « écrasé » entre le passé et le futur, a ainsi « le temps » d'accueillir ce don de « Vie éternelle » dont parle aussi la parabole du judaïsme hassidique.


P.s. - En saisissant le moment présent :-) me revient aujourd'hui en tête le célèbre théologien-prêtre catholique Raimun Panikkar... qui aimait souvent parler du « troisième œil » en se référant à la présence de ce concept spirituel dans l'école des Vittorini (XII° siècle), où le théologien et mystique médiéval, Ricardo de San Victor, disait que Dieu a créé l'homme avec trois yeux : un corporel, (« oculus carnis », réalité sensible), l’autre rationnel (« oculus rationis », réalité qui m'est révélée par la raison) et un troisième, l’œil de la contemplation (« oculus fidei », vision religieuse et mystique).




Étape suivante :  Le passage       

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